Quand la tour Eiffel se refait une beauté, des lorrains sont à la manœuvre
300 millions d’euros vont être consacrés à la restauration de la Dame de fer dans la perspective des Jeux Olympiques de Paris en 2024.
Comme à l’origine, les Lorrains sont à la manœuvre.
Initialement la tour Eiffel devait être démontée au bout de vingt ans.
C’est ce que prévoyait le contrat passé entre l’État, la ville de Paris et Gustave Eiffel.
Ce qui l’a sauvée ?
Assurément la volonté de son créateur qui en a fait un laboratoire unique au monde pour la météorologie, la télégraphie militaire,
la téléphonie hertzienne, la rendant de fait indispensable, ce qui incita en 1910 les autorités à renouveler son bail pour 70 ans.
Un chantier à la hauteur du symbole.
Gustave Eiffel.
Le premier croquis du pylône de 300 m (qui deviendra plus tard la tour Eiffel), dessiné par l’Alsacien Maurice Koechlin.
Dans un atelier des aciéries de Pompey. Photo DR
La tour Eiffel est repeinte tous les sept ans environ.
En mai prochain, le Vosgien Frédéric Anton va prendre la tête du restaurant « Le Jules Verne ».
Depuis l’automne dernier, la tour est ceinturée par des murs de verre, dont les structures métalliques ont été réalisées par l’usine Viry d’Éloyes (Vosges).
Trente-trois mois, c’est la durée des travaux engagés pour restaurer la tour Eiffel.
Soit sept mois de plus que le temps qu’il a fallu pour la construire.
C’est dire l’ampleur du chantier débuté l’an dernier.
Pour ses 130 ans, et dans la perspective des Jeux olympiques de 2024, la Dame de fer fait l’objet d’un grand plan de modernisation s’élevant à 300 millions d’euros.
Une dépense à la hauteur du symbole et totalement autofinancée par la SETE (Société d’exploitation de la tour Eiffel)
avec qui la mairie de Paris a renouvelé pour quinze ans une délégation de service public.
Le premier chantier a consisté à renforcer la sécurité.
En 2017, l’intrusion de militants de Greenpeace venus déployer sous le premier étage une banderole anti-FN a agi comme un détonateur.
Dans un contexte de menace terroriste, les failles du monument le plus visité de France sont apparues au grand jour.
Pour y remédier, la Dame de fer a été ceinturée à l’automne dernier par une paroi en verre pare-balles, le long du quai Branly et du côté du Champ-de-Mars.
Les deux autres côtés, par lesquels se font désormais l’entrée et la sortie des quelque six millions de visiteurs annuels,
ont été fermés par des grilles métalliques en acier corten, reproduisant le profil de la tour Eiffel.
Ces travaux de sécurisation ont été complétés par un dispositif de vidéo protection et l’implantation de plots pour se prémunir d’éventuelles attaques à la voiture bélier.
L’accès à la tour Eiffel se fait désormais par des jardins
« Ces aménagements répondent aux prescriptions de la préfecture de Paris », souligne Laurence Mithouard, qui pilote ce projet pour le compte de la SETE.
Toute la partie métallique de ce chantier a été réalisée par la société Viry d’Éloyes (Vosges) pour un montant de dix millions d’euros.
Autre changement déjà visible, l’accès à la tour Eiffel se fait désormais par des jardins :
deux hectares de végétations qui offrent une perspective inédite sur le monument, permettant ainsi de redécouvrir son esprit romantique.
Pêle-mêle, le chantier prévoit également la rénovation de l’ascenseur nord, le réaménagement du deuxième étage avec un nouvel agencement des boutiques,
des animations numériques pour les visiteurs, le réaménagement des quatre restaurants, dont le « Jules Verne » que va prendre en main le Vosgien Frédéric Anton.
A chaque campagne de peinture, le monument s’alourdit de 60 tonnes !
Mais le plus dur du projet est à venir. Il concerne les travaux de peinture.
Pour conserver le fer et éviter la corrosion, Gustave Eiffel avait préconisé d’en remettre une couche tous les sept ans.
Ce qui grosso modo a été fait. Sauf qu’à chaque campagne de peinture, le monument s’alourdit de 60 tonnes !
Ce qui risque à terme d’entraîner la torsion de certaines pièces et déstabiliser le premier étage qui doit rester parfaitement horizontal.
Par ailleurs, un diagnostic effectué sur l’édifice a montré que l’épaisseur des dix-neuf couches de peinture finissait par réduire son élasticité.
Bref, la seule solution pour redonner sa souplesse au monument est de le décaper.
C’est ce qui va être fait progressivement sur plusieurs décennies.
"On va commencer cette année par 25.000 m², soit un dixième de la surface peinte, en se concentrant sur les zones les plus sensibles,
entre le rez-de-chaussée et le premier étage, côté Champ-de-Mars.
L’an dernier, nous avons réalisé des tests sur les différentes techniques de décapage, le laser, la grenaille, le piquage au marteau, les produits chimiques…
Il s’avère qu’il n’y aura pas une solution, mais plusieurs qui seront retenues, en fonction de l’état des peintures", explique Ghislain Bruggheman.
Un décapage qui s’annonce par ailleurs complexe, car le revêtement utilisé depuis des années pour protéger l’édifice est une peinture au plomb,
désormais soumis à une réglementation très stricte.
Bref, il va falloir poser de grandes bâches pour confiner l’édifice le temps des travaux. Rien d’exceptionnel aux yeux de Ghislain Bruggheman.
"Tout dans ce chantier est hors-norme et d’autant plus compliqué que le monument restera ouvert au public durant toute la durée des travaux",
souligne-t-il. Une soixantaine de pièces, des cornières, des poutrelles considérées comme particulièrement dégradées seront par ailleurs changées.
Quant à la peinture nouvelle, elle sera fabriquée spécifiquement pour la tour Eiffel, en tenant compte des contraintes spécifiques de chaque partie du monument.
Ainsi, la composition ne sera pas la même pour le pilier nord et le pilier sud, pour les zones exposées aux vents dominants ou aux UV.
En revanche, la Dame de fer restera bien peinte en brun. Pas question de revenir au rouge d’origine ou au jaune-orangé du début du XXe siècle.
Sa coloration sera toutefois plus foncée à la base et plus clair au sommet, pour renforcer son aspect élancé.
Une vitrine pour la Lorraine
Différentes étapes de la construction de la tour Eiffel.
La tour Eiffel était le monument phare de l’Exposition universelle de 1889 destinée à célébrer le centenaire de la Révolution française.
Et cette exposition, c’est le Vosgien Jules Ferry qui l’a voulue. En sa qualité de président du conseil,
il signe en 1884 le décret instituant ce rendez-vous, considéré comme la vitrine du savoir-faire technologique et industriel du pays hôte.
Un appel à projet est lancé par l’État. Une centaine de dossiers est déposée, mais c’est l’idée de la construction d’une tour en fer qui est retenue.
Un projet fou que l’on doit à l’Alsacien Maurice Koechlin, chef du bureau d’études de la compagnie Eiffel.
7.000 tonnes de fer puddlé
Pour le reste, on retiendra que le minerai de fer qui a servi à fabriquer la tour a été extrait de la mine de Ludres (Meurthe-et-Moselle),
avant d’être transformé, à quelques kilomètres de là, à la Société des Hauts Fourneaux, Forges et Aciéries de Pompey.
À un rythme moyen de 300 à 400 tonnes par mois, l’usine lorraine a fourni aux ateliers Eiffel près de 7.000 tonnes de fer puddlé,
dont 15.000 poutres ou poutrelles et 2,5 millions de rivets !
Cent trente ans plus tard, les Lorrains sont toujours à la manœuvre.
Les grilles, ainsi que les poutrelles métalliques des parois en verre blindé, installées l’an dernier, ont été fabriquées à Éloyes (Vosges) par la société Viry.
Dans le même temps, les chercheurs de l’institut Jean-Lamour à Nancy « ont travaillé sur des échantillons de couches de peintures de la tour Eiffel »
à la demande de la société exploitante.
Enfin, c’est le Vosgien Frédéric Anton, ex-juré masterchef sur TF1, mais surtout MOF et grand manitou du Pré Catelan (3 macarons au Michelin),
qui a été choisi par la ville de Paris pour succéder à Alain Ducasse à la tête du restaurant "Jules Verne", situé au deuxième étage de la tour.
La réouverture de ce restaurant haut perché est prévue pour mai prochain.
Jean-Marc TOUSSAINT Photos Alexandre MARCHI