Brébant vient de mourir : rappelons une anecdote sur ce célèbre traiteur qui mérita le nom de « restaurateur des lettres ».
Il les restaura surtout pendant le siège. A une époque où Paris mourait de faim, il trouva moyen de donner bonne chère à quelques hommes de lettres et journalistes habitués de son célèbre restaurant.
Le siège fini, ces gastronomes eurent, chose rare, la reconnaissance du ventre (pardon du vilain mot, mais il est consacré par l’Académie en son dictionnaire) et ils firent graver une médaille sur l’une des faces de laquelle on lisait :
Pendant
le Siège de Paris
quelques personnes ayant
accoutumé de se réunir chez
M. Brébant tous les quinze jours
ne se sont pas une fois aperçues,
qu’elles dînaient dans une ville
de deux millions d’âmes
assiégée
Cela est très flatteur pour le maître d’hôtel, mais peu pour les signataires de cette égoïste déclaration.
Sur le revers de la médaille, figurent les noms des hôtes ordinaires de ces dîners bimensuels :
A PAUL BRÉBANT
Ernest Renan. Thurot
P. de Saint-Victor. J. Bertrand
M. Berthelot. Morey
Ch. Blanc. E. de Goncourt
Schérer. T. Gautier
Dumont. A. Hébrard
Nefftzer. …………………
Charles Edmond.
En tout quinze convives.
Un jour, l’un d’eux a eu un remords et il a gratté son nom sur la fameuse médaille qui est aujourd’hui au musée Carnavalet. Mais, grattage inutile, ce document désormais historique fait partie des annales culinaires et des annales de l’égoïsme. On ne le détruira plus et il faut que les signataires en prennent leur parti.
Ils ont mis leur nom au bas de cette manifestation de l’individualisme satisfait au milieu des affres d’une grande ville. Ces noms y resteront.