Jean Jacob, né près de Charcier (Jura), s’éteignit en 1790 à l’âge de 120 ans. Un âge qui fit de lui le doyen des Français, sachant qu’à l’époque, beaucoup mouraient vers 50 ans.
Jacob est donc né une quinzaine d’années après le couronnement de Louis XIV, et avant le rattachement de la Franche-Comté au royaume de France (1678). Notre homme assistera au début de la Révolution.
Son grand âge a suscité beaucoup de curiosité en dehors du Jura. Alexandre Dumas l’évoque dans Le drame de -Quatre-vingt-treize : Scènes de la vie révolutionnaire- (1851-1852).
Ce modeste paysan fut un serf mainmortable. Un mainmortable était privé de la faculté de faire son testament et, à sa mort, ses biens revenaient au seigneur du cru, selon le principe « Le serf mort, saisit le vif de son seigneur » ; en clair : le seigneur demeure saisi des biens de feu son homme mainmortable. Ainsi, les biens du trépassé ne peuvent quitter le domaine seigneurial.
Au XVIIème siècle, la mainmorte avait pratiquement disparu en France, hormis en Franche-Comté, où les moines de l’abbaye de Saint-Claude eurent droit de mainmorte sur les serfs de la province jusqu'à la Révolution. Elle fut officiellement abolie par un décret de 1790.
Jacob a vécu successivement à Poids-de-Fiole, à Civria et enfin à Montfleur, tout cela dans le Jura. Il a été le père de 10 enfants. En 1785, une de ses filles intervint auprès de l’intendant de Franche-Comté aux fins d’obtenir une pension pour son père. Et ça a marché ! Louis XVI, ravi d’avoir dans son royaume pareille vénérable vieillard, lui accorda une pension annuelle de 200 livres à ajouter à une gratification exceptionnelle de 1 200 livres. Songez qu’à l’époque, une belle vache valait de 60 à 80 livres.
L’intendant lui remit les sous solennellement. Des témoins content que le bénéficiaire était en bonne santé, avait bon appétit, conservait toute sa mémoire, levait volontiers le coude et surtout chantait à l’église avec « bien de la gaieté ».
Vint l’heure de gloire de notre Jurassien. En effet, le 11 octobre 1789, il fut présenté au monarque et à la famille royale. Louis XVI lui dit en substance « Mais quels sont donc, mon brave, les secrets d’une telle longévité ? » Et Jacob, sans se démonter, de répondre « Sire, faites comme moi, mangez des gaudes ! »
Cet épisode fut monté en épingle au XIXème siècle, où les gaudes (préparation culinaire composée de farine de maïs torréfié, mélangée à du lait) sont évoquées comme élément de l’identité comtoise.
Mais ce n’est pas fini. Quelques jours plus tard, le 23 octobre, il fait sensation à l’Assemblée nationale. On le fit asseoir dans un fauteuil en face du bureau du président. Jacob était, malgré lui, le symbole du servage, système féodal remis en cause par la Révolution. L’Assemblée s’apprêtait alors à voter la suppression de la mainmorte. L’invité d’honneur remercia les députés, au nom de ses compatriotes, d’avoir dégagé sa patrie des liens de la servitude.
Tonnerre d’applaudissements pour notre ami.
Le portrait peint et gravé de Jacob fut alors répandu dans toute la France. Un personnage sans scrupule, Léonard Bourdon, réussit à acquérir le droit pour cent écus de montrer le vieillard de Montfleur, moyennant argent, à tous les curieux.
Trop c’est trop ! Jacob, usé par l’âge, ne put supporter davantage toutes les fatigues qu’on lui imposait. Le 29 janvier 1790, il rendit l’âme à Paris, sans avoir revu son Jura.
Obsèques en grande pompe en l’église Saint-Eustache…
Ci-dessous : Aquarelle représentant Jean Jacob.