Il y a cent ans, dans la nuit du 2 au 3 novembre 1917, les premiers Sammies tombent dans la campagne lorraine, entre Bures et Bathelémont.
Ci-dessus : unité de Marines américains posant pour une photo de propagande destinée à aider la levée de volontaires.
3 février 1917. Le président Wilson, devant le Congrès, annonce la rupture des relations officielles avec l’Allemagne. Photo Franck Lallemand
Un soldat américain de la Première Guerre mondiale. En France, on les appelle alors « doughboys » ou « Sammies ».
L’insigne de l’escadrille La Fayette : une tête d’indien séminole, symbole de force, de combativité et de courage.
Plus de 14.000 Américains sont enterrés à Romagne-sous-Montfaucon.
Après la guerre, des affiches commémorent l’amitié franco-américaine en célébrant la lutte commune des deux pays pour leur liberté avec le soutien de l’autre.
Par Jérôme Estrada
Un petit bloc de granit à l’entrée du village de Bathelémont le rappelle : ici, dans ce petit coin reculé de Meurthe-et-Moselle, sont tombés les trois premiers soldats américains de la Première Guerre mondiale. Le caporal Gresham, 24 ans, et les soldats Hay, 21 ans, et Enright, 20 ans, du deuxième bataillon du 16e régiment, étaient arrivés quelques semaines plus tôt après un entraînement avec les troupes françaises dans le secteur de Gondrecourt (Meuse). Cette nuit du 2 au 3 novembre 1917, ils viennent de relever leurs camarades du 6e RA, qui compte déjà dans ses rangs deux blessés. Transis par le froid et le brouillard, ils piétinent dans les tranchées de la colline du Haut-des-Ruelles, quand soudain éclate un violent bombardement. Les Sammies ont à peine le temps de s’abriter dans les cagnas qu’ils subissent l’assaut de quelque 250 soldats bavarois. Après une demi-heure de corps à corps, le combat cesse. Outre trois morts, les Américains relèvent cinq blessés graves.
Les premiers Sammies ont débarqué dès juin à Saint-Nazaire, après que leur pays a déclaré la guerre à l’Allemagne le 6 avril 1917. L’opinion américaine, jusque-là neutraliste, avait été ébranlée par la divulgation du télégramme secret envoyé par le secrétaire d’État allemand aux Affaires étrangères à son homologue mexicain, dans lequel il proposait une alliance avec, à la clé, en cas de victoire, l’annexion du sud des États-Unis. Le 1er février, le président américain avait alors aussitôt rompu les relations diplomatiques avec l’Allemagne, espérant que cela suffise à la faire renoncer à ses projets. En vain. Le 19 mars, l’inévitable se produit : le navire américain Viligentia est coulé.
Des volontaires, amoureux de la France, épris de liberté, habités par l’esprit d’aventure, s’étaient déjà mobilisés aux côtés des Français. À l’instar du poète Alan Seeger qui sera tué dans la Somme après s’être battu en Champagne, ils avaient commencé par rejoindre les rangs de la Légion étrangère. D’autres avaient formé (en 1916) l’escadrille La Fayette qui se distinguera notamment dans le ciel lorrain (199 victoires). D’autres encore s’étaient retrouvés dans les corps d’ambulanciers, notamment l’American Field Service. Parmi eux, on trouve les écrivains E. E. Cummings et John Dos Pasos dont le roman « L’Initiation d’un homme » est le fruit de son expérience dans la Meuse.
« note de pittoresque inédit dans nos décors de guerre »
Lorsque les États-Unis entrent en guerre, ils sont déjà un géant industriel. En revanche, ils ne sont qu’un nain au niveau militaire. Le pays ne dispose en effet que d’une armée au matériel limité (aucun tank) et aux effectifs réduits, à peine 200.000 hommes, dont les seules expériences du combat ont été acquises contre les indiens, les rebelles philippins, les Espagnols de Cuba ou les hors-la-loi mexicains de Pancho Villa. Seule l’US Navy est moderne. C’est d’ailleurs grâce à elle que les troupes de Sammies vont pouvoir traverser l’Atlantique.
Mais si l’engagement est tardif et laborieux, il sera cependant massif. Des ports et des gares sont créés, ainsi que des lignes de chemins de fer. Parallèlement, des camps d’entraînements sont aménagés en Champagne et en Lorraine. Ceux de Gondrecourt-le-Château, Vaucouleurs, Neufchâteau et Bourmont sont parmi les plus importants. L’armement est, lui, fourni par les Français en contrepartie de l’envoi des matières premières nécessaires à leur fabrication.
L’accueil de la population est enthousiaste. Elle pavoise les rues de la bannière étoilée et des banderoles clament « welcome ». Des arcs de triomphe en feuillage sont construits dans la joie. Les Français, qui subissent un rationnement depuis le début de la guerre, sont subjugués par les Américains qui, avec « leurs uniformes de drap olive, leurs feutres à larges bords, leurs ceintures à pochettes multiples, cette allure de jeunes cow-boys de l’Ouest américain », apportent une « note de pittoresque inédit dans nos décors de guerre » (L’Illustration). Ils sont également venus riches de leur société d’abondance - distribuant allègrement savon, chocolat, chewing-gum (une découverte pour les Français), cigarettes de tabac blond ou boîtes de conserve - mais aussi de leur culture. Pendant que des habitants font commerce avec eux (la solde des Sammies est équivalente à celle des officiers français), leur vendant des omelettes, des volailles, des pâtisseries ou des douilles d’obus ciselées par les Poilus, d’autres applaudissent aux cérémonies militaires, écarquillent les yeux lors des spectacles « made in America » et les oreilles quand ils entendent pour la première fois du jazz ou du blues.
Cependant, la cohabitation n’est pas toujours facile. Les Américains se croient parfois en terrain conquis. Ils roulent vite, sont des coureurs de jupon et apprécient un peu trop vin, bière et la gnôle, d’autant plus que la prohibition est alors en vigueur dans 26 États américains. La mirabelle de Lorraine, surnommée par les Sammies « gazoline », séduit particulièrement !
La ségrégation raciale alors en vigueur dans les troupes américaines (plus de 17.000 indiens et 370.000 noirs) est également mal ressentie en France dont les troupes provenant de son empire colonial combattent en première ligne.
De leur côté, les Sammies découvrent une France mythifiée et bien souvent réduite aux échos d’un Paris de cabaret. L’Hexagone leur paraît à la fois fait de jolies femmes, les Parisiennes, et de paysans arriérés. Mais bientôt la réalité les rattrapera. Et comme les Poilus, ils auront leur part de souffrance. Alors qu’ils sont tenus en échec à Seicheprey en Meurthe-et-Moselle (20 avril 1918), ils résistent héroïquement dans la Somme (Cantigny, 28 mai) avant de s’illustrer dans l’Aisne (à Château-Thierry et au bois Belleau), en Champagne et en Lorraine (Argonne, Montfaucon).
Mais c’est la bataille de Saint-Mihiel (Meuse) qui constitue l’acte de naissance de l’armée américaine moderne. Jusqu’alors, le général Pershing n’était à la tête que d’un corps expéditionnaire dont les stratèges européens mesuraient mal les qualités. Grâce au bond en avant vers le fameux saillant, où ils donnent l’assaut le 12 septembre, les Américains vont acquérir dans l’opinion publique et parmi les Poilus une réputation de combattants pugnaces. Au total, ils perdront 116.000 hommes, sans compter plus de 200.000 blessés.