Souvent employée à l’occasion des festivités de fin d’année ou en de mémorables occasions, l’expression
Se mettre sur son trente-et-un n’a aucun lien avec la date du 31 décembre, mais trouverait son origine dans un jeu de cartes, la version plus rare
Se mettre sur son dix-huit découlant d’une définition argotique
Depuis l’origine de la langue jusque dans la seconde moitié du XVII
e siècle, explique le grammairien et philologue Éman Martin en 1876 dans
Le Courrier de Vaugelas, la préposition
sur, souvent employée sous la forme
sus, accompagna le verbe
mettre, avec lequel elle formait le sens figuré d’accuser.
Mais accuser quelqu’un de quelque chose, c’est l’en charger, le lui mettre sur le dos ; et, comme une expression figurée a pour origine la même expression prise dans le sens propre, il est tout probable que
se mettre sur a eu autrefois la signification de
se vêtir de : les Anglais, qui ont conservé plus d’une tournure de l’ancien français, ne disent-ils pas encore
to put on dans le double sens d’accuser et de mettre un vêtement ?
D’où il suit que
Se mettre sur son trente-et-un veut dire, sans ellipse, se mettre sur le dos son trente-et-un. Reste à savoir maintenant quel est le vêtement qui a pu être baptisé de cette singulière façon. On trouve ce qui suit dans Van Tenac (
Académie des Jeux) :
« Le
Trente-et-un est un jeu de hasard qui se joue entre un banquier et des pontes dont le nombre est indéterminé. En voici les règles :
« 1° Le banquier ayant un jeu de 52 cartes, ou même deux ou trois jeux, selon le nombre des pontes, mêle tout ensemble, fait couper,-puis il distribue à chacun et à lui-même, une par une, trois cartes. Les figures valent dix, les autres cartes les nombres qu’elles indiquent ; l’as a le privilège de valoir onze ou un, selon qu’il convient à celui qui l’a en main.
« 2° La distribution de ces trois cartes étant terminée, chacun regarde son jeu. Celui dont les trois cartes forment
trente-et-un les montre, et reçoit du banquier deux jetons d’une valeur déterminée au commencement du jeu. Si le banquier a
trente-et-un d’emblée, chacun des pontes lui paye deux jetons, excepté ceux qui auraient
trente-et-un, lesquels, dans ce cas, ne paient ni ne reçoivent rien.
« 3° Le banquier n’ayant pas
trente-et-un d’emblée demande qui veut carte ; le premier à sa droite a la parole, et les autres successivement. Celui qui croit avoir un jeu trop faible demande carte ; on lui en donne une ; il la regarde, et il peut ainsi en prendre successivement plusieurs ; mais s’il arrive ainsi à dépasser le point de
trente-et-un, il crève, et paye deux jetons au banquier. »
Or, comme il résulte de cette citation qu’au jeu dont il s’agit, le point de
trente-et-un est le plus beau, on aura semble-t-il appelé familièrement
trente-et-un le plus bel habit de quelqu’un, et on aura dit de lui qu’
il se mettait sur son trente-et-un pour signifier qu’il se parait de cet habit.
Si l’auteur précédemment cité insinue dans sa préface que le jeu du trente-et-un fut inventé en 1789, ce qui ferait remonter l’expression de
Se mettre sur son trente-et-un au plus à cette époque, c’est cependant une erreur, attendu que ce jeu de cartes est mentionné dans le dictionnaire de Furetière, qui fut publié en 1727. Par ailleurs, on en trouve trace dans la vie de Gargantua de François Rabelais (qui écrit alors sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier, anagramme de son véritable nom) en 1562, au chapitre XXII de ladite vie (
Les Jeux de Gargantua), et il est probable que ce jeu n’a pas été inventé par Rabelais.
Mais une question se pose : l’explication donnée ne rend pas compte de la locution sans doute équivalente
Se mettre sur son dix-huit, locution usitée dans certaines parties de la France, en particulier en Basse-Normandie. L’emploi des nombres 18 et 31 dans le cas de la parure ne viendrait-il pas de l’usage où étaient les toiliers ou tisserands de village de marquer par des chiffres les qualités des fils dont ils se servaient pour tisser soit la toile, soit le
droguet, espèce d’étoffe composée de laine et fil ?
Se mettre sur son dix-huit ne peut effectivement s’expliquer par un nom de jeu de cartes ; car non seulement le
dix-huit ne figure pas dans la nomenclature de Rabelais, mais encore, il ne se trouve point dans Van Tenac : avec le
trente-et-un, ce traité ne mentionne en fait d’autres jeux désignés par un nom de nombre que le
treize, le
vingt-et-un et le
trente et quarante.
Pour autant, l’explication invoquant la toile pour
Se mettre sur le dix-huit semble également erronée. On lit en effet dans le
Dictionnaire d’argot de Francisque Michel : « DIX-HUIT. s. m. Soulier remonté ou ressemelé, ou plutôt redevenu neuf ; d’où son nom grotesque de
dix-huit, ou
deux fois neuf. »
Or, il a dû en être des habits comme des souliers. Autrefois, les gens qui n’avaient pas le moyen de se faire habiller de neuf se procuraient chez le fripier des habits d’occasion. Ces habits, retournés pour la plupart, étaient en quelque sorte deux fois neufs : un habit acheté de cette façon s’appela naturellement aussi un
dix-huit, et l’on a dit, dans la langue populaire : « Se mettre sur son dix-huit », pour signifier se vêtir du plus bel habit que l’on possédât.
Quelle que soit la bonne explication, il est intéressant de remarquer qu’au féminin, il ne faudrait pas dire : elle s’est
mise sur son dix-huit (ou sur son trente-et-un), mais elle s’est
mis sur son dix-huit, attendu que dans cette phrase, qui signifie
elle a mis à elle sur (sa personne)
son dix-huit, le régime direct est après le participe.